Yvan Morin, De l’humain à l’humaniste dans le monde: Le sens de soi, du débat entre Ficin et Pic à Descartes et au XXIe siècle.
De Ficin et la Modernité, via De quel Zoroastre à quel Dieu ? et Méditations oniriques, surgit le présent livre. De quel humain est-il question chez Ficin, Pic et Descartes ? Se forge un sens respectivement transitoire, transitif et itératif de soi. Son devenir sociohistorique met au jour sa culture en histoire de la philosophie. Surgit la conjointe question de l’inscription de soi dans le monde : s’y assumer ou non selon son identité aperçue autant en sa genèse que diverse ? Telle est la trame générale du présent livre.
Son vecteur est le suivant : si le néant, d’emblée métaphysique, via la mathématique du 0, est mis pour le vide et le voile en la physique dont part et qu’inaugure Galilée, la Modernité aboutit à un nihilisme matéraliste. Sinon, néant, 0 et vide se différencient et ne sont donnés qu’au terme de conquêtes respectivement métaphysique, mathématique et physique. De même, la rupture de l’État-nation s’éclaire en distinguant les États impérialistes de leurs vides interstitiels de peuples qui, de leur annihilante absence à la prise de conscience d’eux-mêmes, s’y font nations… jusqu’en l’ONU ? Une anamnèse dialogique ficinienne entre les dialectiques inverses en jeu ouvre la voie à la philosophia perennis qui resurgit avec et de sa propre intelligence humaine et, via la Perse, s’articule entre Inde (aussi Chine) et Euroaméricain. Entre lesdits Orient et Occident.
Le ressort de ce vecteur consiste à doter Ficin de l’approche sceptique qui lui manquait, ce qui s’instaure par la symbolisation qu’il cerne telle (par sa méthode conjecturale), mais qui se dissimilarise, dès que lue à travers Pic, chez Rabelais. S’approfondit une critique ficino-rabelaisienne dont le trait d’union d’inspiration érasmienne permet de mieux apercevoir, chez Descartes, en quoi l’itérativité est dubitative avant que pensante. La pensée cartésienne formalise le doute comme son premier mode, mais faute de s’apercevoir ne que le réitérer, elle en fait surgir Ça en perdurant autrement inconsciemment au fond de soi, mais sur un mode érasmien bien avant que nietzschéo-freudien. Du moins, pour autant que la raison pure si prototypiquement cartésienne s’érasmise en y révélant l’inutilité de méditer sur la mort condensée en corps-cadavre et d’instaurer ainsi une métaphysique séparant l’âme (et Dieu comme son auteur) du corps, du fait que la mort le fait de toute façon. Érasme, par sa bonne foi de charbonnier en un Christ ensanglanté et couronné d’épines au seuil de la mort, a déjà fait contrepoids à tout le déploiement métaphysico-théologique s’étant magnifié depuis Nicolas de Cues, Ficin et Pic et ayant en particulier été recueilli à travers le cercle de Lefèvre d’Étaples. Il inspire à Rabelais la forge du sens qu’il faut bon, dont Montaigne dégage le bon sens proprement dit en infléchissant sa bonifiante finalité en accoutumance normative comme ce que Descartes cherche à méthodiquement appliquer. Or, Érasme ne permet de cerner le trait d’union d’une critique ficino-rabelaisienne de la posture cartésienne qu’en y mettant au jour une telle posture antimétaphysique qui tient si bien lieu que jaillit par son bon sens d’autant à contretemps qu’au ressort de la métaphysique, en la faisant se révéler à la façon de Monsieur Jourdain ayant appris et s’en étant découvert prosateur. S’en magnifie jusqu’à la mise au jour discursive bovellienne du néant comme d’où peut s’ébranler l’assise cartésienne de la Modernité. Dès lors, le néant, si métaphysique soit-il chez Descartes, se déploie sous des atours de bon sens par cette antimétaphysique mise à sa source et ce, à même la physique. Ce néant s’aperçoit en le corps-cadavre être si inhérent à sa matière, par toutes ses parties ne reposant en se juxtaposant les unes contre les autres qu’en pouvant se disperser et s’en chasser les unes les autres comme les corps eux-mêmes en un monde plein, qu’il y voile le vide qui lui est constitutif et dont part pourtant Galilée pour inaugurer la physique moderne. Ce vide se retrace aussi en la vie humaine par un sociosexoréférentiel féminin jusque du masculin, au point de jaillir du sein des individus jusqu’entre eux, entre nations et enfin, entre États, si en entrechoc impérialiste puissent-ils être. En tardant à s’en apercevoir et à pouvoir se renouveler, la Modernité occidentale aboutit à un nihilisme se radicalisant par-delà ce qui s’en exprime depuis le XIXe siècle, du fait de se poursuivre de métaphysique en physique, au XXIe siècle.
Par son inconscient propre attisé en miroir par l’inconscient qui lui provient de l’Inde, ledit Occident ne peut tolérer le néant divin nirvanique faisant foisonner des religions jamais déistes qu’athées et écartant d’emblée autant Dieu (Theos) que sa mise à mort (substantielle), si ce n’est sa résurgence (d’autant relationnelle que selon l’anamnèse dialogique ficinienne des dialectiques en cause). Il lui reste donc à faire glisser le néant en la matière au point d’y voiler le plus possible tout interstitiel vide qui, malgré cette confusion totale de métaphysique en physique, n’arrête pas pour autant de resurgir, donc renaître, et le hanter. Jusqu’à ce passage du néant au vide se mesure et se nombre mathématiquement par le 0 qui n’est lui aussi advenu en ledit Occident, par Fibonacci, que depuis l’Inde et les Arabes.
Les religions (mono)théistes ne permettent d’autres États se séparant de leurs Églises qu’en exigeant que même Dieu ne meure qu’en le délestant du néant à faire glisser et se confondre en la matière : à l’image de Dieu, même mourant, tout être n’est un que tiré du néant (tant de l’Un rien ne peut être dit que ce qu’il n’est pas) et ne s’en hiérarchise que selon un ordre du monde matériellement considéré comme ce dont s’accaparer à son propre profit fort humain en le voulant unipolaire, style MAGA étatsunien trumpien, autant en son sein propre que jusqu’en l’extraterritorial et moyen-oriental entrechoc des monothéismes. Dieu, être un si unique, mais exacerbé par l’entrelacs monothéiste, n’agonise que se convulse en quête humaine et occidento-centrique, de persoeuroaméricaine à étatsunienne : l’unipolaire est assoiffé de se rétablir à l’encontre du fort expansif multipolaire qui tend tant à le contrarier depuis la Chine au ressort des BRICS+.
Par exemple, que l’on compare la Genèse biblique, faisant que Dieu centre sa création sur l’humain auquel Il insuffle sa transcendance, et l’évolution de la quête brahmanique de fusion humaine avec l’univers n’en venant à se personnifier tout autant qu’en restant néanmoins immanente : « Brisant l’œuf dans lequel il [Brahma] flottait sur l’océan primitif, il fit d’une moitié de la coquille le ciel, de l’autre la terre, puis se partagea lui-même en mâle et en femelle pour mettre au jour les créatures » (Aegerter, 1947). Ou que l’on compare l’immanent équilibre ficinien des affections de la fantaisie (désir-jouir/craindre-endolorir) et ce que Descartes en tronque au profit de la seule douleur qu’il dit lui être le plus intime, au gré d’une raison respectivement censée ne plus tant en émerger qu’en être présomptivement si pure que prétendument de part en part transcendante, et le bouddhisme, qui vise en l’expérience humaine la douleur issue du désir d’exister et de vivre qu’il s’agit de supprimer au moyen de la méditation de l’univers et de la pitié compassionnelle pour tous les êtres qui souffrent. Ainsi se précise en quoi le nihilisme dudit Occident se révèle matérialiste et d’où jaillit, par Ficin, une philosophia perennis qui, depuis son immanence au monde encore perdurante et comparable avec ce qui en est commun avec les traditions orientales, est en quête de sa propre intelligence cherchant à s’en dégager et s’en exprimer, y compris et a fortiori si se présumant transcendante. Du moins, s’il peut y avoir une critique plus radicale que la kantienne et ce, plutôt qu’une incessante crise, soi-disant si naturelle et matérialistement nihiliste, de la raison d’autant cartésiennement pure qu’ignare de sa propre émergence et que fort abusivement présomptive d’elle-même, au gré de sa pourtant sous-jacente, mais fort tronquée fantaisie en ses affections, au point de n’en être plus qu’arraisonnement impérialiste à tout crin et ce, d’autant quotidien qu’anglo-saxon et a fortiori nord-américain, d’abord étatsunien. En particulier au gré d’un capitalisme qui carbure au désir, lequel est infiniment plus variable et insatiable jusqu’en sa frustration et en la douleur susceptible de s’ensuivre que quelque besoin que ce soit à combler, au point de faire s’y effondrer (en même temps que la planète euphémisée en chaînes d’approvisionnement toujours plus géopolitiquement et climatiquement perturbées) jusqu’à l’infini censé être si caractérisque de Dieu. Faute de quelque transfini cantorien retraçant l’infini jusqu’en le fini, se tronquer dès son désir, au profit de l’endolorir à travers lequel toujours plus en frémir, fait que même mourir, fût-ce de Dieu jusqu’en l’humain et si en quête puisse-t-il être d’entraîner jusqu’au monde entier, est se tarir (ou craindre de se tarir à force de s’en trouver insécurisé en ses dites chaînes d’approvisionnement) bien avant que d’en périr. Du moins, tant que perdure son incapacité à renaître, à se relancer depuis sa propre Renaissance, à savoir depuis son propre Orient, mais temporel et interne : l’Occident, comme le mot le dit et pour peu que l’on entende non plus tant les seuls sons que d’abord et surtout le sens de ce qui en est dit, pourrait s’apercevoir non plus tant en le seul fait qu’en sa manière même (fort culturelle), surtout si méthodique, d’occire. Et ce, autant en son devenir sociohistorique à l’échelle panplanétaire ainsi prise entre Soleil levant et Soleil couchant qu’en interfaçant, par sa raison prise entre et de fantaisie jusqu’en intellect, sa propre tension géopoliticoéconomique entre droit et argent jusqu’en métaphysique, mathématique et physique : néant, 0 et vide. S’ils sont aperçus plus jamais donnés, a fortiori si se les faisant accroire présomptivement innés comme s’ils allaient de soi et valaient seulement entre soi, que d’abord tout au contraire acquis, voire conquis. Il en va de même, car dès ses sources et assises, de la Modernité entière.
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